The higher I get, the lower I fall.

Bonjour et merci d’accorder quelques minutes à notre magazine. Avant que l’on commence, simplement pour l’interview, pourriez vous me rappeler depuis combien de temps travaillez-vous pour l’Agence maintenant ?
(Andrea actionne le briquet et fixe la petite flamme qui en sort –il est visiblement mort d’ennui) Quelques mois, pas plus.(Il a un accent cockney ultra-prononcé qui rend la compréhension de ce qu'il dit difficile pour un Américain) Je suis arrivé là un peu par hasard. J’avais besoin de fuir l’air anglais pour quelques temps et lorsque Mindy m’a passé ce coup de téléphone, j’ai sauté sur l’occasion. Oui c’était il y a trois ou quatre mois, tout au plus. Quel mois sommes-nous déjà ? Octobre ? Ah… Alors ça fait six mois –j’ai pas trop la notion du temps. (Il approche son index de la flamme et au moment de le passer au dessus, il lâche la détente, la flamme disparait)

Dîtes moi ce qui vous a poussé à rentrer dans ce milieu. Ce n’est pas le genre de carrière que l’on choisis par hasard.
Ben si justement. (Le briquet tombe par terre, Andrea s’interrompt pour le ramasser et manque de basculer de sa chaise. Il se redresse, regarde par la vitre d’un air distrait. Il lui faut quelques secondes pour revenir à la conversation) Ah oui, pardon. Si c’est du hasard. Enfin, pas ce job, mais mon choix de devenir mannequin, c’est du pur hasard. J’ai été repéré par un agent quand j’étais encore un lycéen sans intérêt –parait que j’ai une gueule sympa, juvénile comme on dit. Je plais aux filles et aux garçons sensibles parce que j’ai un physique différent. Alors forcément on m’a engagé pour ça. Mais j’ai été… détruit en quelque sorte par ce boulot. Les fêtes, tout ça. Le sexe, l’alcool… (Il ne mentionne pas la drogue, lui qui en est pourtant un consommateur notoire) Et puis y a eu Jessica et la naissance d’Autumn et Louise, nos jumelles. Là j’ai dû arrêter un peu de travailler (Ndlr : Andrea a eu une aventure avec Jessica B., qui a fait une dépression post-natale après la naissance de leurs jumelles et est décédée des suites d’une overdose volontaire.). Et finalement quand j’ai voulu recommencer, j’ai pas pu, parce qu’on m’avait un peu oublié. J’ai bien essayé mais ça n’a pas vraiment fonctionné… Alors quand Mandy m’a proposé de travailler à ses côtés, j’ai accepté. J’ai un assez bon réseau en Europe, surtout à Londres, Paris et Milan, les endroits où il faut être, et ça peut lui permettre d’élargir un peu ses horizons. (Andrea soupire, un long et douloureux soupir. Il n’a pas quitté la rue des yeux, comme s’il était fasciné par la pluie qui tombe. Je commande un deuxième café, et lui, une vodka-tonic. « Les mauvaises habitudes » me dit-il en s’excusant presque.)

Entre nous, Mindy est elle vraiment à l'image de sa réputation ?
(Andrea éclate de rire) Quelle réputation ? Vous voulez parler de sa réputation de connasse ? Ouais, elle en est à la hauteur ; en fait, on la sous-estime même ! C’est une garce qui ne voit la vie qu’en coupons de cent dollars et dont la philosophie de vie est « Que les apparences soient belles car on ne juge que par elles. ». Je me demande combien de mannequins elle compte encore piétiner pour arriver à son idéal. C’est un monstre cette nana –dans le sens négatif, comme positif du terme. Oui, positif. Personne n’arrive à faire ce qu’elle fait. Elle a un don… (Le visage d'Andrea se défait de son air enfantin qui est remplacé par une sorte de rictus)

Vous souvenez vous de la première fois que vous l'avez rencontrée ?

Si je comprends bien, en entrant dans l'Agence vous avez dû vous installer à New-York ? Cela vous a t-il beaucoup changé de là où vous habitiez avant ?
(Luke continue de fumer, d’un air songeur.) Pas plus que ça. Pour être honnête j’habitais à Londres avant de venir ici et hormis le sens dans lequel roulent les voitures, je ne vois pas de différence. Bon, peut-être que c’est un peu différent… Peut-être que New York ne peut cacher sa superficialité derrière aucune authenticité de façade mais sinon, non. Et puis je connaissais déjà New York avant d’y emménager parce que j’avais déjà eu l’occasion d’y venir lorsque j’étais encore mannequin… (Luke se tait et laisse le silence stagner sur notre table.)

Venons en aux autres employés. Ne me dites pas que tout est toujours rose entre vous, je suis sûre qu'il doit y avoir quelques ... crêpages de chignon, je me trompe ?
(Il éclate à nouveau de rire, cette fois-ci d’un rire franc et clair, différent de ce à quoi ressemble son rire d’ordinaire.) Vous n’imaginez même pas. Je me demande ce qui est le pire : les mannequins et leurs caprices où travailler dans l’envers du décor… Les mannequins, on s’attend à ce qu’ils soient complètement cons –ils passent leurs journées à se faire prendre en photo et aduler, forcément ça fait grossir leur égo à une vitesse inimaginable… Mais les autres, ceux qui travaillent avec moi au bureau… ils ne sont pas mieux franchement. La plupart d’entre nous n’est qu’une bande d’ex-mannequins frustrés ou de gens qui n’ont jamais eu l’occasion de devenir modèles et qui l’ont toujours au travers de la gorge. Globalement, on est tout sauf fréquentables. Et super désagréables. Les coups dans le dos, les crêpages de chignon, non seulement il y a en déjà eu mais en plus c’est monnaie courante chez Mindy Lane, ne serait-ce que parce qu’elle encourage cette situation malsaine.

Est-ce la même chose entre vous et les mannequins ?
Bien sûr. (Andrea se redresse sur son siège, me faisant comprendre que cette partie de l’interview s’arrête là. Cela fait écho aux rumeurs qui disent qu’il ne digère pas d’être éclipsé par les mannequins de Mindy Lane, de travailler pour eux, lui qui a autrefois été l’un des leurs.)

Quel est le pire coup bas que quelqu'un vous ait fait ici ?

Et votre meilleur souvenir ?

Très bien, merci beaucoup. Je pense que j'ai ce qu'il me faut et que nous en avons finit. Bonne continuation, au revoir.
(Andrea me sourit, mais il est déjà ailleurs.)